17 h 30 le départ est donné, la petite troupe des vélos spéciaux s’élance…J’attends ce moment avec impatience depuis des mois, mais je ne ressens pas cette émotion qui m’avait étreint il y a quatre ans…Je suis serein, ravi d’être là, mais presque détaché de l’évènement…
Je reste prudent les premiers kilomètres, ayant pour seule préoccupation l’économie de mes efforts. Se protéger de la chaleur, boire, manger…J ‘apprécie décidément l’horaire de ce départ, qui me permet de profiter du paysage…C’est bien plus agréable que de plonger directement dans la nuit…
Peu à peu le rythme s’accélère et surprise les jambes tournent bien. Il faut dire que ma préparation n’a pas été bien sérieuse depuis le début des congés…Peu de km et beaucoup de temps passé à table avec des amis… Malgré tout je me sens bien, et, au fur et à mesure que l’obscurité s’installe, le parcours prend du relief. On approche du Perche, mais le terrain reste propice au vélo couché. Arrêt remplissage bouteille + sandwitch à Mortagne, je ne m’attarde pas, je me suis fixé une première étape de 500 km ( soit arrêt prévu à St Nicolas de Pelem), je sais que le temps perdu aux contrôles ne se rattrappe pas ; je n’ai pas envie de revivre la même lutte contre les délais qu’en 2007, donc tant que la forme est là, j’en profite !
Toujours pas de problèmes, je roule tranquillement et sans douleur ; je retrouve avec plaisir le nom de villages connus où les randonneurs sont chaudement encouragés ! Le temps passe assez vite, je converse un moment avec un tandem droit dont le stocker est aveugle…Une côte nous sépare une fois, on reprend notre conversation un peu plus loin et bien vite le parcours met fin à cet échange…
Arrive Villaines, le contrôle est quasi désert. Par contre l’accueil des bénévoles est à la hauteur de sa réputation…Je blague un peu avec les dames de la restauration, et l’une d’elles me porte le plateau dans la salle à manger presque vide. « là ça vous convient ? » « OK c’est parfait » et elle pose mon plateau à côté d’un randonneur plongé dans ses pensées. « Ca va ? » « Et non » me répond-il, « c’est mon premier Paris-Brest, je suis parti comme un couillon et j’ai du lactique plein les jambes… » Tandis que j’avale le plat de pâtes, j’essaie de le réconforter en lui disant qu’il lui faut bien se réhydrater, bien manger, surtout accepter de mouliner et de faire profil bas…In petto je suis inquiet pour lui, car le plus dur reste à venir…On discute un petit peu encore, nous sommes languedociens tous les deux et avons foulé les mêmes pelouses des terrains de rugby. Je repars finalement et le laisse là se reposer encore un peu. A-t-il fini ? Mystère…
C’est en grelottant que je reprends mon chemin, bizarre pourtant la température n’est pas trop basse. Sont-ce les premiers effets de la fatigue ? Pourtant je me sens encore en forme, et heureusement je me réchauffe assez vite. Je ne trouve pas le temps long et suis presque surpris d’arriver déjà à proximité de Fougères. Je suis attendu au village avant par des membres de ma belle-famille qui habitent à 50 mètres du tracé. « Tu arrives déjà ? Mais je n’ai pas eu le temps de te préparer du riz ? » « Bah c’est pas grave je t’avais dit que je n’arriverais pas avant 8h, c’est ma faute il est 6h30 un café me suffit, le contrôle est à quelques kilomètres… » On papotte gentiment, de choses et d’autres, puis la conversation revient vite sur la rando : « Tu as meilleure mine qu’en 2007, tu n’as pas les yeux injectés de sang cette fois-ci… » « Mais la météo est bien meilleure, tu sais.. »
Il me faut reprendre la route, la pendule tourne. « tu repasses quand , demain? » « Dis-donc il me faut aller à Brest et en revenir ce ne sera pas avant mercredi !! » « Ah Bon, à mercredi alors ! »
Pointage – plat de pâtes – coca à Fougères, envoi de texto à la famille et aux copains qui me supportent à distance et c’est reparti, toujours avec de bonnes sensations. Je ne m’emflamme pas, je suis bien conscient que cette première moitié de l’aller est la plus facile, et que les difficultés m’attendent après la courte étape vers Tinténiac.
L’étape est vite accomplie, le rituel se répète :poser le vélo, pointer, faire le plein d’eau et de coca, envoyer les texto de suivi…Cette fois-ci je renonce à un repas chaud, me contentant d’acheter un sandwitch. Les cuisses se sont raidies, et j‘ai un peu de mal à lever la jambe pour enfourcher le vélo…
Je redoute la montée vers Becherel, j’aborde donc le début d’étape avec humilité et m’applique à ne pas forcer. Je suis surpris d’être déjà en haut, je me souviens d’avoir serré les dents pour y parvenir en 2007. Contrôle surprise à Quedillac, les côtes se succèdent, nous voici en Bretagne, nous sommes félicités et encouragés par les spectateurs au bord de la route, je réponds par un geste ou un bonjour.
Par contre, je me rends compte que je suis proche de mon objectif du jour et qu’il est encore trop tôt pour se reposer. Peut-être sera-t-il possible de rallier Brest avant de se reposer ?
Presque 14h et me voila à Loudéac. Je négocie les chicanes d’arrivée entre les barrières et je me réjouis de voir enfin le contrôle de jour. J’y avais erré il y a quatre ans, laissant échapper là un temps qui m’aurait été bien utile sur la route. Je réduis donc la pause au minimum, d’autant que je prévois un ravitaillement plus conséquent à St Nicolas du Pelem, terme envisagé de la journée.
Je repars de Loudéac sous un franc soleil, et pour la première fois depuis le départ je me sens bien entamé. Dans la côte qui mène à Trevé, je ressens une franche lassitude…Par chance, je repère un bout de pelouse bien ombragé à gauche de la route…Je m’installe et m’endors quasi instantanément pour une petite sieste de 20 mn. Etonnant comme on peut récupérer autant en si peu de temps, les cuisses sont bien moins douloureuses lorsque je redémarre…
16h30 je gravis le dernier coup de nez dans St Nicolas avant le point de ravitaillement…Déception pas de restauration chaude…Je continue donc le régime sandwitch – coca et reporte le festin au contrôle suivant. La deuxième partie de l’étape me semble plus facile, en partie car j’ai l’impression dorénavant que c’est du bonus…
Carhaix km 525 18h05 j’estime qu’il encore trop tôt pour s’arrêter dormir. D’ailleurs je n’ai pas sommeil, en revanche je me régale au self avec une belle assiette de riz et de poisson en sauce. Le moral est au beau fixe, j’ai plus de 12h d’avance sur la fermeture du contrôle et je n’ai pas de blessure à déplorer. Mais un pbp tient à peu de choses : à la sortie de Carhaix, l’itinéraire emprunte une rue assez large et en descente. Un voiture stationnée à droite sort de son emplacement, je me déporte machinalement vers le milieu de la chaussée, pas problème la rue est large…Ce que je n’avais pas prévu, c’est le demi-tour tenté par l’automobiliste juste devant mes roues. Je ne vois soudain que le blanc de la carrosserie, je plante les freins et bloque la roue arrière, le vélo se dérobe je relache les freins. J’ignore si j’ai crié ou si la conductrice m’a enfin aperçu, mais la voiture s’immobilise et je passe entre le pare-choc avant et le trottoir de gauche…Ouf c’était juste, je respire un grand coup, cette fois ci j’ai vraiment eu peur…
J’aime bien la route qui nous amène par Huelgoat vers la D764 partie finale de l’ascension du Roc Trévezel - paisible , ombragée – j’y passe un bon moment, vite laché par le groupe de VD avec qui j’ai quitté Carhaix. La bruine fait son apparition, puis la pluie s’invite, mais rien de grave je ne mets le coupe-vent imperméable qu’en haut du Roc. D’ailleurs j’ai un peu de mal à descendre du vélo pour me changer, un spectateur compatissant me tient le vélo, encore un échange sympa sur les qualités et défauts des vélos couchés.
La descente sur route mouillée requiert mon attention, il me tarde d’arriver à Brest mais la route est encore longue, je trouve interminable cette fin d’étape…Je m’arrête dans la dernière côte avant Brest à un ravitaillement improvisé, je commence à saturer, le jus d’orange, le carré de chocolat, et les encouragements me font un bien fou. Enfin on traverse le fameux pont A.Louppe, je m’en mets plein les yeux , c’est l’un des grands moments de la rando…Passons sur l’interminable tour du port, je pointe à 23h12. Ouf la journée a été longue…
J’ai du mal à trouver un emplacement pour garer le vélo, ce contrôle-ci n’est pas désert. Je m’offre une douche bien méritée, enfile une tenue propre (quel bonheur !) et convoite un bon repas…Hélas pas de restauration chaude à cette heure-ci, ce sera donc un pauvre jambon-beurre…Pas plus de chance avec le couchage, les dortoirs sont bondés et la file d’attente dissuasive, je dégotte quand même une place en haut des gradins sur une plaque de bois qui m’isolera parfaitement du béton glacé. Je m’octroie généreusement 5h de sommeil, compte tenu de l’avance sur les délais. Mais le repos n’est guère régénérateur, les couvertures de survie de mes compagnons de chambrée étant très bruyantes…
Mardi 5h : je repars très lentement, les muscles sont encore très raides. Je n’ai pas beaucoup de gaz, la nuit fait place au brouillard, je m’accroche patiemment. Enfin Sizun, j’opte pour un arrêt épicerie où je fais le plein de snickers. Je guette des visages connus parmi les randonneurs que je croise…Je salue encore un vélo couché, avant que je reconnaisse son sourire j’entends « Eh !!Lepou !! » « Salut Mireille !! » Le Roc Trevezel est atteint presque par mégarde, je pensais en être encore assez loin…La descente est bien agréable, mais la fin d’étape vers Carhaix est bien languissante : un tobogan sur une route large et fréquentée, je regrette les petites routes tranquilles…
Carhaix 9h43, je ne laisse pas passer l’occasion d’un repas chaud, je m’attable de nouveau face au fameux riz-poisson en sauce de l’aller. Je salue Guig peu après Carhaix, il a l’air en pleine forme. J’enchaine gentiment la suite, usant le plus possible du dérailleur. Je ne m’arrête pas au ravitaillement de St Nicolas, préférant un peu plus loin une boulangerie ou je prends une baguette et une grosse part de pizza. D’ailleurs à partir de ce moment, je me nourris la plupart du temps avec des sandwitches maison baguette-snickers.
Je ne m’attarde pas non plus à Loudeac (14h10), car je commence à caresser l’espoir de revenir à Fougères pas trop tard dans la soirée – histoire de ne pas trop gêner mes hôtes par une arrivée tardive. Le contrôle secret d’Illifaut me permet de remplir la bouteille d’eau, je continue tranquillou en appréciant le vent portant qui aplanit les difficultés. Tinténiac est passé, j’avance régulièrement sans souffrance ni douleur particulière, Fougères est en vue, je pointe à 21h26. Une dernière montée dans la nuit et j’arrive à la fin de l’étape, le diner est prêt, je l’engloutis, me douche et part me coucher. Quel plaisir de m’allonger dans un vrai lit !
Mercredi 2h : je m’élance dans la nuit, je sens que ces 2 heures de sommeil ont été plus réparatrices que les 5 de la nuit à Brest. Le vent est toujours mon allié et ne cessera plus de l’être jusqu’à St Quentin. Seul hic, je n’ai plus de vivres dans ma sacoche et…je commence à avoir faim. Je suis sauvé par une apparition miraculeuse : quelques cyclos, de la lumière…Me voici à la Tannière, la fameuse Tannière dont j’avais tant entendu parler mais que j’avais raté en 2007. Quel accueil ! certainement l’un des meilleurs moments de la rando ! Mais il faut bien repartir, l’arrivée est encore lointaine. Petite pause un peu plus loin pour un café gentiment offert par des jeunes super sympas mais un peu intimidés, je me régale de pédaler dans la nuit, je retrouve les sensations des premières heures, je passe même sans soucis les dernières bosses avant Villaines.
Villaines, pointage juste avant 6h00 : je profite encore une fois du réfectoire toujours désert et m’attaque cette fois à une grosse ration de spaghetti bolognaise. J’étais passé la dernière fois dans ce secteur pendant la terrible 4° nuit, et je garde le souvenir de cette troupe de cyclos vidés, usés, echoués sur les bas-côtés de la route, chutant littéralement de sommeil… Aujourd’hui pas de souci particulier pour rallier Mortagne, ravitaillement en vol dans une épicerie pour le plein de pain et barres chocolatées et départ vers Dreux.
Je sais maintenant que l’essentiel du denivelé est derrière, et que sauf catastrophe je devrais arriver dans les délais. Le soleil commence à chauffer, je prends vraiment du plaisir avec l’impression de facilité donnée par le vent portant, et le paysage du Perche me plait beaucoup. La pleine avant Dreux est beaucoup moins réjouissante, mais enfin je finis par pointer au contrôle .
Je musarde un peu lors de la dernière étape, savourant les derniers km de la rando. Je m’économise un peu en voyant le panneau Gambaiseuil, me souvenant de la célèbre côte (et des ses spectateurs), et déjà se profilent les communes de St Quentin. Elancourt est passé, le comportement plus agressif des automobilistes nous rappelle à la réalité, la parenthèse se referme, encore quelques feux et nous voila au rond-point des Saules, attention à la planche !! La fameuse planche a évolué elle aussi, elle s’est élargie, j’arrive donc sans encombre au terme de la rando…
Voila c’est fini, je rends le carnet de pointage et me retrouve un peu désorienté, mais heureux…