Merci pour tous vos messages d'encouragements.
Voici mon compte-rendu. Une diagonale est vraiment un moment intense à vivre!
A bientôt sur les routes!
Compte rendu de la diagonale Dunkerque Menton
Du 22 Mai au 26 Mai 2012 par Pierre Cuvillier
OrigineJe me souviens très bien ce jour de Mai 2008 où je croisai sur la piste cyclable de Grenoble un cycliste,
qui faisait justement la diagonale Dunkerque Menton et j'avais trouvé cela formidable.
L'idée a muri tout doucement. Je me suis d'abord lancé dans les brevets, puis une première 'petite' diagonale,
Strasbourg Perpignan en 2009, et enfin Paris-Brest en 2011. Cette année, je relève donc le défi Dunkerque-Menton.
Jour J-1Avant même le départ, je redoutai de traverser Paris en vélo. Dan – du forum du vélo-couché – me guide
pour le trajet de la gare de Lyon à la gare du nord dans Paris sous la pluie.
En fait, il y a pas mal de pistes / couloirs cyclables à Paris et c'est moins dangereux que je ne le pensai.
Encore merci Dan pour ton aide. Nous nous quittons gare du nord:
A Dunkerque, je retrouve avec plaisir Eric, un ami de longue date avec qui je mange rapidement
dans un restaurant sur le front de mer. J'admire la beauté sauvage des plages de la mer du nord,
où certains font du char à voile avec une voile de kite-surf.
Mardi 22 Mai 2012: Dunkerque – Montmirail: 290 Km, D+: 1579 m7h00: j'entre dans le commissariat. Avant que je n'aie eu le temps de dire bonjour,
j'entends le policier parler très fort: "C'est un cyclo!". Une voix dans une autre pièce répond: "Oui, j'ai vu, j'amène le tampon".
Bon, les diagonalistes sont bien connus ici! Et puis c'est la rencontre avec Zapilon du forum: un moment d'échange sympathique
que l'on aurait bien poursuivi plus longtemps, mais… l'horloge tourne maintenant et il fait un temps…
comment dire… ah oui! C'est ce que Zapilon appelle "brume de chaleur".
Traduction: 10 °C, un vent de nord fort et glacial et un brouillard saturant. Zapilon prend des photos du départ:
Merci Zapilon pour cette rencontre. Et c'est parti! Le début est grisant: le vent du nord me donne des ailes.
Jusqu'à Béthune, c'est vraiment plat. Ensuite, le relief est fait de légères ondulations,
qui seront de plus en plus marquées au fur et à mesure que la journée avance.
Pour toute cette première journée, beaucoup de brouillard mais pas de pluie.
Je reçois des messages de ma femme qui s'inquiète: il pleut des trombes à Grenoble.
Arrêt à Arras, ville des ancêtres de mon patronyme. Je prends un café place des Héros avec son superbe beffroi:
Ensuite, je remarque le long des routes un très grand nombre de cimetières militaires de toutes les guerres et de tous les pays.
Je suis surpris par l'immensité des champs cultivés dans le nord. La journée se passe 'vite et bien'.
Après Soissons, il y a des bosses vraiment plus raides.
Je remarque que les routes secondaires dans les départements de l'Aisne, de la Marne et de l'Aube
ont un mauvais revêtement, avec de fortes aspérités qui provoquent des vibrations désagréables
sur le vélo et font baisser la vitesse.
Le soir, alors que je mange à l'hôtel de Montmirail, j'aperçois au-dessus de ma table ce tableau: un signe prémonitoire?
Mercredi 23 Mai 2012: Montmirail – Losne: 291 Km, D+: 1094 mLe deuxième jour est plus dur. Les courbatures apparaissent ainsi que des douleurs aux genoux.
Des assouplissements permettent de minimiser ces deux soucis.
A partir d'Anglure, mon itinéraire remonte la vallée de l'Aube pendant 160 Km.
La fin est superbe, dans une petite vallée très champêtre. Je commence cependant à sentir
une certaine fatigue générale et je dois faire une grande pause à Arc-sur-Tile.
Je me souviens des conseils de Roudevélo: 15 minutes de sommeil puis c'est parti pour Losne,
suffisamment tôt pour pouvoir manger à l'hôtel.
Encore une journée avec un ciel couvert, mais sans pluie. J'ai de la chance.
Jeudi 24 Mai 2012: Losne – Claix: 280 Km, D+: 1285 mCe n'est pas la grande forme au départ, mais heureusement, ça commence par du plat.
Ensuite, dans le Jura, c'est des bosses en continu. La fatigue m'envahit parfois et mon esprit s'égare…
• Lorsque Dieu créa la France, il ne lui restait plus que quelques plaines mais il avait pleins de bosses en réserves:
il en disposa donc sur la plupart du pays.
• Lorsque les premiers géomètres firent les routes, rien que pour m'embêter, ils firent des routes toutes droites
qui montent au sommet des bosses et descendent au plus bas des vallons, au lieu de contourner les obstacles à plat.
• Devant tant de difficultés, des ingénieux inventèrent le vélo-couché qui facilite le passage des toboggans
en ayant une vitesse élevée au creux des bosses pour remonter sur l'élan.
• J'en viens à imaginer, dans mon délire, de charger le vélo de lourdes pierres en haut des bosses
pour aller encore plus vite en descente, puis de larguer au point bas, en pleine vitesse,
le fardeau devenu inutile pour remonter encore plus vite, plus haut.
Cette sensation des toboggans est vraiment particulière: en remontant, il faut balayer l'ensemble
des vitesses disponibles pour passer de plus de 50 Km/h à parfois moins de 10 Km/h
tout en tournant les jambes à vitesse presque constante.
Repas à Chalamont. L'après-midi, grosse fatigue, et chaque secousse me rappelle que le repas de midi ne passe pas:
il y a une lutte intense dans mon estomac dont l'issue est incertaine.
Je vois le soleil pour la première fois de la diagonale à Crémieu dans l'Isère.
Je me prépare pour le col de la Rossatière: le début se passe très bien, mais ensuite, gros coup de barre,
et la fin se fait très doucement.
Alex me téléphone alors pour me rejoindre en vélo. Je ne dois plus avoir les esprits très clairs
et je lui indique la mauvaise route. Mais ce n'est pas grave: il a tellement la forme qu'il fait tout un détour
puis me rejoins dans la descente suivante. On discute, il m'offre une bonne quiche et on rentre ensemble à Grenoble.
Merci pour ce bout de chemin ensemble! On se sépare dans Grenoble et je rentre chez moi à Claix.
Je suis vraiment content de retrouver ma famille et mon petit confort. J'avais bien été prévenu du danger des étapes à la maison:
ne pas repartir. Ma famille est prévenue et finalement je pars sans problème le matin.
Vendredi 25 Mai 2012: Claix – Saint-André-les-Alpes: 205 Km, D+: 2124 mDonc je repars, et même un peu plus tôt que prévu car c'est aujourd'hui la grande étape des Alpes,
et les difficultés d'hier dans le col de la Rossatière ont fait naitre en moi des doutes.
Le départ est vraiment difficile. Est-ce dû à l'anti-inflammatoire que j'ai pris
(dont j'ai su plus tard que certains effets secondaires sont 'somnolence et confusion')?
Toujours est-il que je dois faire trois pauses dans le col de la croix-haute, que je connais pourtant très bien.
Bizarrement, la fin du col passe mieux que le début, mais cette montée s'est faite très lentement…
A Monestier, il y a ce panneau routier: cherchez l'erreur:
Le soleil levant sur le Vercors, depuis le col du Fau:
Et ensuite, c'est la grande descente: 70 Km de faux-plats descendants jusqu'à Château-Arnoux où je retrouve Daniel du forum.
Rencontre très sympa avec un diagonaliste qui connait bien le coin. Il faisait entre 35°C et 40°C à ce moment-là.
On discute au bar et ensuite Daniel m'accompagne jusqu'au col près de St-Jurson, puis il rentre à Digne et je continue.
Merci Daniel pour ce moment partagé – et pour les pâtes de coing maison!
Au loin, on voit des éclairs. A Barrême, 20 Km plus loin, quand la serveuse du bar me dit qu'il y a de l'orage sur la route,
je n'ai pas compris tout de suite l'ampleur du phénomène.
Alors que je n'avais pas eu de pluie jusqu'à présent, au niveau du col de la Robine,
les éléments se déchainent: c'est un orage épouvantable pendant environ 20 minutes.
Pas d'abri en pleine nature et pas question de faire demi-tour, donc je continue.
La route est couverte d'une épaisse couche d'eau, les lourdes gouttes d'eau crépitent en tombant en rafale
et je fini par être complètement trempé. Mon imperméable paraît bien dérisoire
et je sens l'eau dégouliner de partout sous mes vêtements. La descente du col jusqu'à Saint-André fait juste 2 Km,
mais j'arrive à peine à ralentir le vélo bien que crispé sur les freins.
Dans Saint-André, je cherche un bar pour m'abriter et en garant mon vélo sous un porche,
je sens quelque chose de bizarre dans mes pieds: il y a 10 cm d'eau dans la rue et mes chaussures sont trempées.
En une heure, la température a dû baisser de 25°C. En entrant dans le bar, j'ai froid et je claque des dents.
Le patron doit avoir pitié de moi et me donne une serviette.
J'ai encore 80 Km à faire aujourd'hui et le dernier col à franchir, mais impossible de continuer dans ces conditions.
Il est 18h30, je suis trempé et il me faudrait plutôt une douche chaude et me changer pour ne pas tomber malade.
Je pense alors que cette aventure pourrait s'arrêter là. Dans un éclair de lucidité, j'appelle la météo du 04 et du 06:
la pluie va cesser en milieu de nuit. Je prends alors la décision de dormir sur place à St André pendant qu'il pleut
et de partir plus tôt demain. Le patron du bar m'indique un gite où je me rends.
Problème: le gite n'accepte pas la carte bancaire et il ne me reste plus assez d'argent (j'avais réservé un hôtel plus loin).
La dame du gite m'accompagne aux deux distributeurs du village qui ne fonctionnent pas à cause des orages.
Retour au bar (sans carte bancaire non plus) pour trouver un arrangement: le patron propose alors de m'accompagner
en voiture à Castellane à 20 Km de là, pour trouver des distributeurs. Je pense que tout cela va être long et compliqué,
mais je suis vraiment touché par tant de sollicitude, je n'ose pas dire non et en fait je n'ai pas vraiment le choix:
il faut bien que je règle mon hébergement. Je ne sais pas si tout cela est bien conforme avec le règlement des diagonales,
mais nous voilà donc partis en voiture vers Castellane par des routes sinueuses. Le patron est un gars sympa et attachant
qui me raconte la vie dans ses bars. On rentre à St André, je mange au bar en laissant un pourboire généreux et je file dormir.
Pendant tout ce temps-là, un autre cyclo couché battait le record du monde de l'heure…
Samedi 26 Mai 2012: Saint-André-les-alpes – Menton: 141 Km, D+: 1444 mJ'ai mis le réveil à 2h30, mais en fait je me réveille tout seul vers 1h00 et je pars à 1h30.
Il ne pleuvra plus de la journée: le plan a bien marché. En montant le col de Toutes-Aures,
je pense à Alex qui avait aussi trouvé beaucoup de bonheur dans cette ascension nocturne et qui avait appelé son épouse.
Mais bon, je ne pense pas que la mienne apprécierait d'être réveillée à 3h00!
Il est vrai que ces ascensions nocturnes créent une ambiance particulière. Mais je suis quand même inquiet:
je dois finir directement à Menton, il reste 140 Km, et je n'ai pas beaucoup de marge. Le col se passe plutôt bien,
la descente est d'abord une route de montagne sinueuse et ensuite des longs faux-plats descendants pour lesquels le vélo couché est parfait.
Arrivée à Nice à 6h00. Petit-déjeuner sur le port dans 'le seul bar ouvert 24h/24 entre Menton et Marseille'.
Envoi de la carte postale. Et ensuite? Ensuite j'ai prévu la corniche haute pour finir.
Vieux proverbe chinois: si tu n'es pas un bon grimpeur, si tes sacoches sont pleines (de vêtements mouillés),
si tu as roulé 1180 Km et si tu prends la corniche haute avec une côte de plus de 3 Km à 10%, et bien alors c'est vraiment très dur.
Laurent m'avait pourtant bien prévenu et c'est un costaud. Et l'heure qui tourne et le compteur qui n'avance pas.
Heureusement que j'avais installé des plus petites démultiplications avant de partir.
Il me fallait trouver le juste milieu entre ne pas trop ralentir pour garder l'équilibre et ne pas aller trop vite pour contrôler mon effort.
On pourrait avoir envie de forcer pour en finir, mais c'est justement là qu'il faut garder son rythme et son calme.
Ne pas paniquer, maitriser son effort et continuer. Cette dernière montée se fait aussi et surtout au mental.
Au bout de 4 Km je suis récompensé par la vue sur la mer:
Le col d'Eze qui suit a des passages pareillement difficiles. Enfin le sommet et c'est le dernier sommet:
je pousse un hurlement sauvage de satisfaction. Le spectacle de la descente sur Menton au-dessus de Monaco est grandiose.
Ca me rappelle les calanques de ma Provence natale. Je me rends alors compte qu'il me reste un peu de marge sur l'horaire.
J'ai souffert durant toute cette diagonale de ne pas avoir assez de temps.
Alors maintenant je prends le temps et je m'arrête presque à chaque virage, juste pour contempler le tableau,
pour profiter du calme après la tempête, pour faire durer cet instant magique de sérénité,
pour prolonger ce plaisir de sentir que maintenant "rien ne pourra m'empêcher d'arriver".
Puis je file à Menton et pointe au commissariat.
L'anecdote de la fin: expliquer le vélo couché aux policiers et faire une démonstration devant le commissariat de Menton!
EpilogueMaintenant il faut rentrer directement à la maison en train: Menton-Nice, Nice-Marseille, Marseille-Valence, Valence-Grenoble: 9h de train.
Vieux proverbe hindou: si tu veux prendre le train Menton-Nice le jour du grand prix de formule 1 de Monaco,
si il y a déjà 1000 personnes sur le quai, si le train qui arrive en gare est déjà plein et si tu as un vélo couché, alors tu devras encore patienter.
Je ne peux pas prendre le premier train, mais finalement je rentre à bon port – avec le concours des agents de la SNCF.
Mes impressions générales sur la diagonaleDurant cette diagonale j'ai utilisé un smart phone avec une application de guidage GPS
pour suivre des traces préparée à l'avance. Le guidage était parfait et très précis.
Le GPS n'est sans doute pas indispensable, mais ça rassure et permet ne pas chercher sa route en cas de doute.
L'inconvénient du GPS sur smart phone est l'autonomie. Et donc, en général je ne l'utilisai que pour la traversée des villes
ou pour les passages avec beaucoup d'intersections. Dans ces conditions, la charge tient la journée.
Je l'ai aussi rechargé pendant des arrêts dans des bars restaurants.
Dans la basse vallée du Var entre le pont Charles-Albert et Nice, j'ai utilisé la très belle piste cyclable jusqu'à 'La baronne',
puis des petites routes très roulantes toujours en rive droite jusqu'à l'aéroport. Ici le GPS est vraiment utile
car il n'y a pas d'indications après la fin officielle de la piste. Je recommande cet itinéraire qui permet d'éviter les 2x2 voies.
Bravo au conseil général pour cet aménagement, mais quelques panneaux de signalisations supplémentaires seraient les bienvenus.
J'ai organisé cette diagonale comme 5 étapes indépendantes,
avec points d'hébergement prévus à l'avance (à l'exception du dernier jour).
Chaque jour je remets le compteur à 0. J'ai apprécié ce découpage.
Cependant, 290 Km c'est beaucoup (pour moi) et j'ai ressenti stress, fatigue et incertitude.
Un de mes atouts était la préparation minutieuse de l'itinéraire. De plus je connaissais la partie entre Bourg-en-Bresse et Nice.
Pour le reste, j'avais même visualisé les passages délicats avec Google Street. Je n'ai eu aucun incident de navigation.
Réserver les hôtels à l'avance est aussi très pratique: aucune perte de temps pour chercher un point de chute.
Pouvoir manger dans l'hôtel où l'on dort est plus simple et permet de gagner du temps.
Ca vaut le coup – à mon sens – de partir plus tôt le matin pour y arriver.
J'ai beaucoup apprécié les diverses rencontres: Dan, Zapilon, Alex et Daniel-à-Digne, sans parler de l'étape à la maison.
C'est super sympa et ça permet de sortir de la solitude du diagonaliste.
Merci à vous tous et aussi à ceux qui m'ont fait passer des messages.
Merci à ma femme et à ma famille pour me permettre de vivre cette aventure et pour leur soutien.
Comparée à Paris-Brest, j'ai trouvé cette diagonale moins difficile – seulement 7500m de dénivelée positive pour 1207 Km.
J'ai pu dormir en moyenne 5h15 par nuit – ce qui est beaucoup plus que sur PBP.
Plus que jamais, une diagonale est pour moi avant tout une affaire de gestion: gérer la faim, la soif, les pauses, l'habillement,
l'itinéraire, le moral, la santé, la météo, les imprévus. Ca permet de mieux se connaitre et aussi de connaitre ses limites.
Je ne suis pas un cycliste puissant – et justement le défi n'en est que plus grand – mais j'aime bien devoir composer avec tous les éléments.
Alors oui, ce n'était pas facile et peut-être même un peu dur pour moi. Et pourtant, je pense déjà à la suite…
Pierre
28 Mai 2012