Ne vous bousculez pas au portillon de départ, cette SR ne sera finalement pas officialisée !
Combien même que j’ai adoré rouler ce parcours, j’ai dû me rendre compte que le traffic sur certaines routes et tout simplement trop dangereux pour y envoyer des randonneurs éventuellement épuisés.
Je m’attendais à pas mal de circulation car certaines vallées menant aux grands cols sont tout simplement trop prisées par une circulation aussi bien touristique que transitoire alors que l’encaissement de ces vallées ne laisse tout simplement pas la place aux routes parallèles.
Cet cohabitation surprésente qui, mis à part les défauts habituels des motorisés, càd bruit, odeur, concentration forcée pour le cycliste, ne dérangeait pas mais l’exception que j’ai vécu à deux endroits était tellement énorme – et intrinsèque au parcours – que la décision de ne pas homologuer le parcours était plutôt facile à prendre.
Brig est une petite ville de montagne, portillon des Alpes Hautes Valaisannes, et j’aime bien l’ambiance qui y règne. Un peu comme les derniers pas dans la civilisation ;-)
Le soleil me sourit et je sais que je dois en profiter car les prévisions sont plutôt changeantes, càd plutôt beau mais alterné de périodes avec des fortes averses.
Mais il est 9 heures du matin et je devrais rester au sec au moins jusqu’en début de soirée. Ensuite, je sais que même si de la pluie est attendue, les températures resteront agréables. Mais ceci n’est évidemment valable que dans les vallées et jusqu’à une certaine altitude.
Une partie du défi consistera donc à jouer à cache-cache avec cette pluie afin d’éviter de me retrouver trempe et frigorifié en descente de col.
Une autre difficulté sera la montée de ces grands cols. Sur les autres SR’s je n’ai jamais dépassé les 2000 mètres (Le Ventoux sur le SRHP était le plus élevé) et surtout pas enchaîner 8 cols qui dépassent cette altitude. Quand on joue aux montagnes russes avec des cols entre -disons 1200 et 1700 mètres de d+- il y a une certaine ‘facilité’ de découpage, càd à fixer des objectifs intermédiaires.
Quand je suis au départ d’une SR il m’est impossible d’avoir le cumul de d+ en face. J’avoue que c’est impressionnant de partir et de savoir que plus de 13.000 mètres de d+ m’attendent en 2,5 jours.
Du coup je tranche et normalement je fais cela par col. Sur le Dauphiné Gratiné p.ex. -mon premier et toujours le plus difficile à ce jour- il y a une succession de petits col -une 20-aine- entre 1000 et 1700 mètres dont certains attaqués depuis le fond de vallée et d’autres pas.
Dans ces conditions il est plutôt facile de prendre comme objectif intermédiaire les sommets des cols et au lieu de se retrouver avec 14.000 mètres de d+ devant les roues, on se retrouve avec une certaine quantité de cols qui demandent à chaque fois entre 1et 1,5 d’heures d’effort.
Bref, quelque chose d’humain donc.
Mais sur des cols tels que présents sur ce parcours il y va tout autrement.
Prenons p.ex le San Bernardino.
Pris depuis Castione – à 240 mètres d’altitude – il faut monter ensuite 1825 mètres sur 50 kms pour arriver en haut. Et au lieu de me retrouver avec un effort de 1,5 h, c’est un effort de presque 5 heures (avec les pauses) qu’il m’a fallu ce qui est beaucoup trop long pour pouvoir prendre le sommet du col comme seul objectif intermédiaire.
Il m’a donc fallu découvrir en cours de route comment faire et c’est le découpage en tronçons de 100 mètres de d+ qui m’a le plus convenu.
Système entièrement rodé au bout de quelques cols.
Une nouveauté quelque part parce qu’avant je n’utilisais ce système de découpage en objectifs très rapprochés qu’en cas de montées difficiles.
Et pour m’accompagner au mieux dans cet inconnu qui m’attendait j’avais également fait une feuille de route comportant les cols et les vallées avec à chaque fois les altitudes et distances totalisés et intermédiaires ainsi que trois estimations de temps, de lent à rapide.
Le tout sur un bout de feuille bien plastifié bien sûr ;-)
Première tâche donc, depuis Brig, monter vers le fond de vallée sur 43 km puis les 17 kms de lacets vers la Furka. Je me sens en forme mais moins sûr de moi que d’habitude sur ce genre de défis je fais l’impasse sur la traditionnelle ‘première montée à fond’, d’emblée je me mets bien sagement sur un rythme de longue distance qui se traduit par 600 mètres de montée par heure, une vitesse de progression que je garderai sur toute la SR.
En m’approchant de Gletsch il y a la majestueuse route du col de Grimsel qui apparaît en face de moi, or, celle-là je la prendrai au retour et en descente. A l’aller je dois partir à côté pour continuer en direction du glacier du Rhône avant de franchir le col de la Furka, point culminant de cette SR à 2429 mètres. Beaucoup de monde sur les routes mais largement compensé par les vues imprenables qui s’offrent à moi.
En basculant de l’autre côté la route est bien plus étroite. Il y a un campervan devant moi qui est obligé de prendre les virages avec beaucoup de précautions afin de ne pas toucher d’éventuels véhicules en sens inverse. Je mets à profit un tronçon à circulation alternée pour prendre les devants et laisser le campervan derrière moi. Désormais j’aurai toute la descente pour moi avec comme seuls dépassements ceux des motards qui pour la plupart y vont doucement.
Un petit crochet à Hospental, pour faire le plein d’eau et c’est reparti. D’abord un bout sur l’ancienne route du col de Saint Gothard mais je me rends vite compte (mais moins vite que ce que la présence des panneaux indicatifs vtt auraient permis …) que ça ne passera pas à pneus route, de surcroit sur un vélo couché, et je fais demi-tour pour prendre la route normale. Au même temps, le tunnel du Saint-Gothard dévie tout le traffic de transit du col et la pluie qui commence à tomber de façon inattendue, achève visiblement bien d’intentions touristiques de motorisés parce que je ne croise que peu de monde dans la montée.
Avant mon départ j’avais eu envie de prendre la tremola - ce qui subsiste de l’ancienne route du col sur son sommet et qui m’aurait fait une descente parallèle à la nouvelle route sur l’autre versant – route de pavés, mais je décide durant la montée que ça sera trop dangereux avec la pluie.
Je me contente donc des 2 derniers km de pavés avant le sommet et laisse filer le vélo sur la route asphalté dans la descente. Je n’ai pas le droit de continuer sur cette route dans la dernière partie de la descente mais ce qui me reste à faire n’est pas beaucoup. Mais visiblement trop pour la chambre d’un cyclo qui s’affaire sur le bord de la route avec une crevaison. J’adore mes tubeless !
Quand j’arrive à Airolo le soleil pointe timidement son nez et au détour d’un virage je lézarde un petit moment sur un petit muret et profite pour manger un petit pain.
La longue descente jusqu’à Bellinzona (ou presque) qui m’attend permet de me reposer un peu tout en profitant du paysage, qui est bien différent de la montée que j’avais fait au départ de Brig. La vallée du Fiume Ticino est bien plus étroite que celle du Rhône, alors que les sommets sont tout aussi haut.
55 km et 1h20 plus tard j’arrive à Castione, début de la montée vers le San Bernardino.
Malgré un graissage des pédales assez récent, des bruits, des craquements, désagréables s’en dégagent depuis le début de la montée du Saint-Gothard. Et la longue descente qui a suivi n’a que confirmé ce problème : mes pédales sont à bout et attendent avec impatience de tomber en morceaux. Une petite inspection montre qu’un bout en plastique s’est dégagé d’une des faces de ma pédale droite et je sens que ça tourne rugueusement autour de son axe. Surtout celle de droite mais aussi l’autre. Ce n’est pas que je suis radin mais je n’aime pas jeter les choses avant qu’ils ne soient hors usage mais pour cette fois-ci ça ne semble pas avoir été l’idée la plus lumineuse. Ceci-dit, avant mon départ ce matin mes pédales ne faisaient pas de bruit et je les trouve du coup quand-même un peu traîtresses …
A la charge habituelle d’une SR s’ajoute donc une crainte pédales cassées se qui signifierait un arrêt immédiat de cette tentative.
Ceci nous ramène à Castione que l’on pourrait plus au moins estampiller banlieue de Bellinzona. Bref, un endroit avec des activités commerciales où j’espérais passer à côté des portes grandes ouvertes d’un marchand de cycles qui m’installerait sa plus belle paire de pédales speedplay frog. Raison donc pour ma précipitation raisonnable, or, en traversant la petite ville -nous sommes samedi 17 h- tous les magasins sont fermés et je décide de rester sur ma trace et de compter sur ma bonne étoile pour la suite de cette SR.
Je me mets même secrètement à espérer quelques bonnes averses qui pourraient -au moins temporairement- mettre fin aux couinements de mes pédales.
N’ayant pas l’habitude d’enchaîner des grands cols -l’exception fût un Croix de fer – Iseran il y a 6 ans- je décide d’agrémenter la montée de petites pauses. D’un côté ça me permettra de communiquer un peu (hé oui, j’étais assez en communication sur cette SR qui du coup était moins contemplative mais j’avais besoin des encouragements qui me parvenaient) puis de m’alimenter et de me reposer. Bref, moi qui trouve qu’en longue distance l’avantage du vh -même en montagne- par apport au vd est son confort qui permet de faire moins d’arrêts, j’en étais pour mes frais. Mais peu importe, surtout après avoir vu à l’occasion d’un mini-arrêt à Cama qu’en 167 km j’avais une heure d’avance sur mon estimation la plus rapide !
Voilà de quoi mettre du baume au cœur …
Lostallo, Cabbiolo, Soazza, Mesocco, les noms des villages à consonnance italienne ainsi que les inscriptions sur divers panneaux pourraient faire croire que nous sommes en terres tessinoises mais nous sommes bien dans le canton des Grisons, presque depuis le bas de la vallée, et je me rends compte que les Grisons doivent être le seul canton quadrilingue de la Suisse.
Tranquillement le soir s’invite et la lumière change, aidé par les crêtes aux alentours qui ont vite fait de cacher le soleil.
Aussi, en sortant de Mesocco les premiers lacets s’annoncent. Je me rends compte que je puise déjà dans mes réserves de motivation. Pas de fatigue musculaire mais une impression de ne pas avancer accentuée par ces incessantes couinements de pédales. (Comme vous pouvez constater, la mise en place des objectifs intermédiaires de 100 m de dénivelé ne fut ni automatique ni rapide)
Je me rends compte que ma présence dans cette magnifique montagne ne suffit - à elle toute seule – pas pour faire passer mes efforts inaperçus. Parfois cette magie existe en longue distance, mais pour l’instant je dois me contenter de la simple beauté de ces majestueux sommets.
Petit à petit je m’approche du village de San Bernardino, qui se trouve quelques centaines de mètres en-dessous du sommet. Grâce à la présence de l’autoroute, doublé de celle d’un tunnel, je peux profiter en toute tranquillité de derniers kms qui mènent au col que j’atteins sous une lumière presque féerique du soir.
Ouf, dernier col du jour, 12h40 de route depuis mon départ, 200 km et 4500 mètres de d+ mais l’impression de bien plus. Me reste 57 km et 1000 mètres de dénivelé à faire avant de retrouver mon perron de la gare de Tiefencastel (300 mètres en dessus de Thusis, départ pour le Julierpass) qui sera mon hôtel, repéré en avance sur google maps.
La nuit est totalement là en descendant le col et il commence à pleuvoir légèrement. Mais la nuit est douce et calme et ce ne sont que les pavés en traversant les villages qui requièrent toute mon attention.
Quand j’arrive il fait bien sec de nouveau – je serais de toute façon protégé par un avant-toit si d’aventure il pleuvait – et avec la mousse de siège du Pelso comme matelas et mon ‘sac de couchage’ respirant SOL il ne me faut pas 10 minutes pour m’endormir. L’alarme sonnera 4 heures plus tard.
Une petite séance de motivation s’impose toujours en me réveillant en cours de SR. Après une si courte nuit le corps n’est pas du tout prêt à repartir et un peu de forcing s’avère souvent nécessaire. Mais la journée qui s’annonce sera belle et ne me donne aucune excuse.
D’ailleurs il ne fait déjà plus tout à fait nuit et en traînant un peu pour repartir je m’assure même de pouvoir rouler sans devoir éclairer la route (je laisse quand-même mes phares pour rester visible).
Côté électronique il y a d’ailleurs quelques changements. Alors que j’ai terminé 2019 avec une fenix 3 qui arrivait au bout du rouleau et un edge 830 qui avait dépassé ce stade (du bout du rouleau), j’ai dû changer cette première pour une fenix 6 quand la batterie de la fenix 3 a lâchée quasiment du jour au lendemain. Les réparations pour ce matériel hors garantie étant trop cher.
Avec la fenix 6 j’ai gagné en autonomie : 51 heures dans le mode d’utilisation que je veux en faire (enr gps 1s avec navigation, connection ANT de la fc et capteur de puissance, pas de bluetooth) ce qui me facilite la gestion de la charge : en principe, si j’arrête l’enregistrement lors des deux longs arrêts que je souhaite faire, je n’aurais pas à la recharger. En pratique j’ai fait une recharge ‘de sécurité’ quand elle arrivait à 20 % de sa capacité.
Puis côté dynamo c’est évidemment toujours mon fidèle moyeu SON qui est au centre de toute la tension (des rayons) mais j’ai troqué mon usb-werk pour un e-werk avec sa batterie tampon assortie. La raison est essentiellement qu’au dernier moment je me suis décidé de remplacer ma batterie rechargeable (qui coupe le chargement des appareils branchés lorsqu’elle est elle-même chargée) par une batterie qui pouvait fonctionner en continue. Le chargement des appareils et l’éclairage simultanés sont des tâches trop gourmandes en énergie pour pouvoir être assurées de façon fluide par un seul dynamo, la batterie tampon branchée en permanence assure de pouvoir profiter au max de chaque km roulé côté génération et distribution d’énergie. Mais face au gouffre énergétique que représente mon edge 830, qui ne tient plus que 4-5 heures en mode navigation, je me suis quand-même vu obligé de couper mes phares à plusieurs reprises durant ce périple.
D’ailleurs, si je n’ai pas encore remplacé ce fameux edge c’est bien pour les raisons suivantes : Premièrement j’ai trouvé ces pièces toujours fragiles, sur les trois edges que j’ai eu ils ont toujours fini par lâcher -à mes yeux- prématurément. Un avait été remplacé sous garantie. Puis deuxièmement en randonnée j’ai une fenix, un edge, un appareil photo et mon téléphone. Mon appareil photo, étanche, ‘shockproof’ et payé à prix d’or, fait des photos d’une qualité très médiocre. N’importe quel smartphone fait mieux dans n’importe quelle condition. Du coup, je chéri l’espoir de pouvoir remplacer un jour ces trois appareils (edge, apn et smartphone) par un simple smartphone.
J’ai encore quelques réticences mais on y arrive gentiment et en attendant c’est peu probable que je rachète encore un edge.
A cette heure très matinale il n’y a presque pas de monde en route et sur les nombreux tronçons en circulation alternée je n’attends pas les feux verts. Pas que j’ai envie de jouer aux rebelles mais à vélo en montée vous avez le choix entre attendre le vert et arrivée au rouge ou encore passer ou rouge et (au mieux) arrivée au vert. Jamais les vitesses de vélos en montée ne sont prises en considération pour le calcul des phases des feux. D’ailleurs, il y particulièrement beaucoup de tronçons en travaux et je me dis que c’est sûrement le covid qui avait dû mettre un arrêt provisoire au gros œuvre ce qui fait que tous les travaux s’en trouvent concentrés sur la même période. La montagne ne laisse pas l’année tout entière pour ce genre d’activités.
Les piz se suivent, les villages perchés aussi et le Lai da Marmorera annonce la dernière 15-aine de km du col. A 1700 mètres le paysage devient minéral et l’empreinte de l’homme sur la nature devient minimale.
Dans le chapitre ‘gestion d’effort’ il y a aussi un changement. Plutôt que de m’afficher ma fc, j’ai remplacé cet affichage par la puissance sur 30 s. C’est plus qu’une habitude à prendre, c’est un changement de paradigme (désolé, j’aime bien le mot mais un peu pompeux dans ce contexte ;-)
Lors des montées je me cale sur une puissance de 170 – 180 W et à la montée le constat est net : à partir d’une certaine altitude, avoisinant les 1800 – 1900 mètres (que je ne dépasse que rarement en cyclisme normal) pour maintenir ma puissance mon cœur bat bien plus vite. Mais je décide de ne pas en tenir compte parce qu’une fc à 70% de ma fc max n’est pas problématique, même en LD.
Un ciel d’une grande beauté m’accompagne sur les derniers lacets de ce col, le traffic s’est intensifié mais pour l’heure ça reste très raisonnable et la route qui s’offre à moi en descente est suffisamment propre et large pour l’entamer sereinement. Il est 9h et en-dessous de moi Silvaplana (Sankt-Moritz) m’attend, pressé de m’offrir un petit déjeuner.
Une 15-aine de kms me séparent du pied de l’Albula, 2-ième col en hauteur de ce parcours, mais pris depuis le plateau (je suis à 1750 mètres) il n’y a qu’une petite 600 mètres de montée à faire avant d’atteindre ce somptueux paysage de haute-montagne.
En montant je commence à bien retrouver des sensations de longue distance, ces efforts que l’on peut tenir longtemps couplés à un état d’esprit posé -sans stress- concentré sur l’effort mais en profitant de ce qui m’entoure. Ayant laissé la moitié du parcours bien derrière moi la balance commence à pencher en faveur de la certitude de la réussite au détriment de la possibilité de l’échec.
J’entame la descente plein de vigueur et le dépassement d’un long bouchon de voitures retenus par un énième campervan (dépassement à l’occasion d’un tronçon à travaux, sans risque) m’oblige à maintenir la vitesse parce que visiblement le conducteur est blessé dans son orgueil et veut me rattraper. Mais mon avantage de rester devant est de ne pas être embêté par des voitures dans les parties très sinueuses qui suivront et je réussi à garder cet avantage jusqu’à la première partie de la montée vers Lenzerheide. Une bonne 20-aine de kms plus loin.
Entretemps il est midi et la température est montée en flèche depuis ce matin. Mon edge m’affiche 34° sans broncher. Et moi je commence à avoir des problèmes pour m’alimenter. L’exposition au soleil de cette montée ne me laisse guère de répit et en traversant Brienz je décide de faire un arrêt prolongé à la fontaine du village. J’enlève manchettes et jambières (ils sont anti-uv c’est pour ça que je les garde normalement) et mon maillot et jette le tout dans l’eau avant de plonger mes jambes dedans.
Les 400 mètres restants ont été grimpés sans nourriture mais surtout sans difficultés. Il m’a fallu réduire aussi ma consommation d’eau, ‘l’effet chaleur’ étant très présent (la capacité d’absorption d’eau diminue avec la chaleur, si je bois trop l’eau reste dans mon estomac)
En haut du Lenzerheidepass, plus bas col du parcours à 1550 mètres, j’essaye de regarder avec une certaine sérénité les 100 km et 2000 mètres de dénivelé qui m’attendent pour le prochain col, L’oberalppass. C’est en fait une étape relativement plate, trop plate quelque part parce qu’elle implique de devoir terminer cette SR en montant 3000 mètres sur les derniers 120 km. Un ratio de d+/distance bien plus élevé que la moyenne de l’ensemble.
De nouveau une longue descente, jusqu’à Coire -plus vieille ville suisse si je ne m’abuse- avant de faire une petite montée vers Versam et de suivre les sublimes gorges du Rhin.
Mais c’est après que ça s’est considérablement compliqué. Au départ de Coire deux routes montent à Disentis. L’une -roulante- sur la rive gauche du Rhin et qui passe par des stations comme Laax etc, l’autre, bien plus belle et que j’ai pris par Versam et les gorges du Rhin. Mais à Ilanz les deux routes se rejoignent et les 30 kms de montées suivants sont en fait un parcours de F1 déguisé. Les automobilistes roulaient si vite, avec tellement peux de considération pour les autres, que c’est un miracle qu’il n’y a pas eu d’accident. Je n’ai jamais été mis en danger directement - ceux qui me dépassaient allaient vite tout en laissant une distance de sécurité – mais ils faisaient fi de toute règle de circulation et plusieurs fois ils ont failli percuter un conducteur en face.
Le pire a été juste avant l’arrivée à Disentis, quand une grosse Mercedes est entrée tombeau ouvert dans le virage en me dépassant et a dérapé de l’arrière en freinant pour éviter celui d’en face qui a dû piler aussi. Le cul de la Mercedes à fait quelques gauches-droites avant de regagner le contrôle (je doute que les reflexes de l’abruti de service l’ont permis, ça a dû être le contrôle de la trajectoire …)
Le pauvre en face était probablement proche de l’attaque …
C’est juste incroyable cette façon de conduire suivie par tellement de monde.
Je ne vous cache pas ma déception d’arriver à Disentis, des retrouvailles après y avoir passé des vacances d’hiver tout jeune ado il y a à peu près 35 ans. Je ne m’y suis même pas arrêté …
Mais camelback vide oblige ce fut quelques kms plus loin – à Sedrun – que je fais un dernier arrêt avant l’Oberalp.
Entre Coire et Sedrun j’ai fait quelques petites pauses quand-même et je ne me suis pas privé de regarder le radar météo. Ce que je voyais, de la pluie de plus en plus abondante du début de la soirée qui continuait au moins jusqu’en milieu de jour suivant, ne me rassurait guère.
Il fallait que je reconnaisse que mentalement je risquais de craquer si je devais rouler les kms restants – les plus lourds des 614 km – de nuit, sous la pluie en passant deux cols de plus de 2000 mètres.
Physiquement je me sentais presque de mieux en mieux, mais depuis le bas de la vallée je me suis fait miroiter un éventuel arrêt à l’hôtel à Andermatt, après la descente de l’Oberalp.
J’étais très en avance sur le délai, en haut du col il allait me rester 25 heures pour terminer (150 km) mais quand on est à bout, que l’on ait à disposition 25 ou 50 heures, on n’arrivera pas.
Puis il y a le souvenir de mon Léman Dément : ayant dû partir 2 semaines avant la date prévu j’avais la condition mais énormément de sommeil à rattraper et j’ai été forcé de prendre une chambre d’hôtel pour pouvoir terminer le défi (dans les délais) car j’étais à bout. Je me souviens comme je me sentais mieux le lendemain …
Bref, à Sedrun j’ai continué un peu la prospection et calculé qu’on me dépêchant j’avais tout juste le temps d’arriver avant la fermeture d’un hôtel qui avait encore des chambres.
Cette perspective m’a empli de joie et m’a permis de pleinement profiter des derniers sublimes kms (les 2-neurones au volant étaient restés à Disentis) du col de l’Oberalp -à un jet de pierre des sources du Rhin- qui s’élevait bien au-dessus des nuages compactes dans la vallée adjacente.
Arrivé à l’hôtel sous une pluie battante à 20h45, j’ai été joyeusement accueilli par la patronne qui -désolée que je ne pouvais rester pour le petit déjeuner du lendemain- m’a préparé deux énormes sandwichs au fromage pour le remplacer. Une pizza dans un restaurant voisin a aussi aidé à bien me remettre d’aplomb.
Ceci a été à peu près les seuls contacts joviaux que j’ai eu de tout ce périple. La quasi-totalité des cyclistes que j’ai croisé – qu’il soit à vélo de route ou en trekking surchargé – ont ostentatoirement refusé de répondre à mes salutations quand je les ai croisés …
Réveil à 06h le lendemain, plus de neuf heures après mon arrivé ;-), j’ouvre les rideaux et … c’est fou ce qui tombe dehors.
Mes vêtements sont à peine séchés. J’hésite un instant quant à la quantité de couches à enfiler mais il fait 11 degrés et j’ai encore un bout à descendre jusqu’à Wassen, au pied du Susten. Voulant exclure l’option de prendre froid je mets la totalité -mouillé- après avoir terminé mes sandwichs.
Que c’est désagréable ! Je sors mon vélo du garage qui m’a été gracieusement prêté et je laisse filer sous la pluie.
Dommage, je dois passer à côté d’un pont du diable mais sous ces conditions je ne songe même pas à y arrêter.
A Wassen je découvre une superette ouverte et je m’y prends une bouteille d’ovo, un café froid et deux viennoiseries. Petit déj numéro 2.
Sans traîner je m’engage sur le col et je me rends compte qu’il pleut vraiment fort, mais je suis seul -ou presque- et la température clémente fait que je n’en souffre pas. L’eau ruisselle de partout, des petites cascades débordent, les grosses grondent, la montagne est belle comme ça.
Très vite je m’installe dans mon rythme et je me rends compte que la réussite est très proche. Physiquement ça tient, mentalement je suis au top, tout roule parfaitement bien. Et j’ai une reconnaissance infinie de pouvoir vivre ce moment privilégié en communion avec la montagne.
En haut du col, à 2224 mètres, je vérifie la t° : 4°, il pleut fort et il y beaucoup de vent.
Je ne traîne pas et je m’engage sur la descente. Sur ce côté de la descente il y a une particularité : il y a beaucoup de torrents qui font des cascades par moments car la pente est abrupte. Et la route, à chaque croisement, est taillé dans la roche et se trouve avec une arche par-dessus sur laquelle coule le torrent.
Mais avec la pluie ces arches ne contiennent plus du tout l’eau et à chaque entrée/sortie est un véritable rideau d’eau glacée qu’il faut traverser. C’était tellement froid qu’au bout de 600 mètres de descente j’ai commencé à tellement trembloter sur mon Pelso qu’il en guidonnait.
Ca ne pouvait durer et je devais m’arrêter, ici et là je traversais un petit village avec éventuellement un bistro ouvert mais le fond de vallée se trouvait à 600 mètres, j’avais à peine fait le tiers, et je ne pouvais envisager de m’arrêter déjà. En repoussant mes limites de 100 mètres en 100 mètres j’ai tenu jusqu’à 1000 mètres d’altitude. Accueilli chaleureusement dans un bistro par la propriétaire et son mâtin à la retraite j’ai été servi d’un petit déjeuner (n°3, ecce hobbit) très gourmand puis j’y suis resté au moins 30 minutes -si ce n’est 45- pour lentement me réchauffer.
La patronne a ri quand je lui été montré la photo du petit dèj de la veille à Sankt Moritz et quand je lui ai dit combien ça avait coûté. Ici c’était 14,7 fr et surtout pas un centime de plus !
J’avais toujours un peu froid mais plus que 400 mètres à descendre avant d’attaquer -directement- le Grimsel, dernier col.
J’aurais bien voulu vous faire un récit d’un col incroyablement beau, comme le Susten, l’Oberalp ou encore l’Albula mais la réalité est malheureusement autre.
Très utilisé pour le transit, dans les nuages et la pluie abondante, j’ai apprécié l’effort mais pour le reste c’est un endroit à éviter. Beaucoup trop de camions surtout à des vitesses trop élevées, et pour certains- dépassant beaucoup trop proche.
Mais c’était le dernier col, et j’ai aimé les petites routes parallèles qui permettent aux cyclistes de contourner les tunnels.
Sans stress mais en poussant quelques fois à 180 – 190 Watts j’arrive enfin à bout après 53,5 heures de route.
Durant les 50 kms suivants -essentiellement en descente mais avec un fort vent de face- le soleil à rapidement pointé son bout du nez pour terminer cette SR – et 55h et 15 minutes après mon départ je suis de retour dans la petite ville de Brig avec finalement 625 kms et 13340 mètres de d+ au compteur.