La réponse typique est qu'il ne s'agit pas tant de la nature du matériau que de la façon dont il est utilisé.
Il faut faire attention aux réputations des matériaux venues du monde du VD. Elles ne sont pas toujours pertinentes dans le domaine du VH, et certes, les modes, marketing et autres mimétismes ont leur influence.
On ne peut pas comparer ce qui est "idéal" dans le contexte de l'industrialisation des VD, moins contrainte par des questions de volume de production, à ce qui est envisageable dans le contexte des faibles volumes actuels des VH.
Je m'explique...
Les cadres de VD (sans suspension), avec leurs trois triangles, peuvent se permettre d'utiliser toutes sortes de matériaux, de sections et de techniques de mise en forme dans le même cadre, par exemple:
- Un tube oblique à forte section (largeur limitée par le passage des pieds et jambes, profondeur limitée notamment par les règles aéro UCI), résistant à la torsion et au flambage.
- Un tube horizontal un peu plus léger, résistant surtout au flambage, sauf lorsqu'il fait partie d'un système solidaire des haubans à la façon d'un ressort à lame, on l'a vu depuis longtemps avec des tubes doubles ou bifides, ou plus récemment avec un système de pivot entre ces derniers et le tube de selle (Trek Domane).
- Un tube de selle parfois un peu plus flexible, pouvant faire office de ressort à lames
- Des haubans qui flambent de façon contrôlée comme un ressort à lames, sauf quand il est question de mettre la priorité sur l'aérodynamique (la fonction ressort exige d'exposer une surface plutôt plate au vent relatif)
- Des bases à faible section (surtout lorsqu'il est question de s'insérer entre le grand plateau et le pneu tout en conservant un empattement court) mais résistant au flambage
- Des fourreaux faisant à peu près le même boulot que les haubans.
C'est pourquoi on a vu toutes sortes de mélanges: tubes obliques massifs avec haubans sveltes, cadre en alu ou titane avec haubans et parfois bases en carbone, ou plus exotiques, cadres tout titane avec tube de selle en carbone, ou encore le classique cadre de toute nature avec fourche carbone.
Le cadre de VD idéal serait peut-être un mélange de 300 métaux, alliages et composites différents (comme une voiture) mais ce sont les compromis d'assemblage qui prennent le dessus au-delà de deux ou trois matériaux...
Même à l'intérieur des cadres mono-matériaux, toutes sortes d'astuces de disposition et orientation des fibres (composite) ou de jeu avec les épaisseurs (ex. rétreint/butted), sections (ex hydroformage) et renforts internes ont lieu sous la surface et permettent au différents segments d'accomplir des fonctions bien spécifiques.
En conception de VH, nous n'avons pas ce luxe!Les cadres de vélos couchés sont presque tous des poutres plus ou moins cintrées. Certaines sont discontinues, contre-ventées par endroits, certes, mais il s'agit rarement de triangles complets et rejoignant mêmes nœuds de façon aussi parfaite que ceux qui forment un cadre de VD.
Toutes les interprétations de ces poutres sont, à la base, déjà moins aptes a résister la déformation due aux efforts de pédalage qu'un cadre de vélo traditionnel disposé en multiples triangles.
Certes, on a vu des mélanges de matériaux (bases ou bases+haubans carbone avec cadres alu ou titane), mais ce qui se passe à l'avant de ces segments a lieu dans ce qui peut être considéré comme une seule poutre.
À l'avant, nous n'avons pas le luxe d'attribuer différentes propriétés à différents segments bien distincts à la façon d'un VD: c'est le théâtre de toutes sortes de contraintes allant dans différentes directions plutôt incompatibles : flambage latéral et torsion dus à la transmission au niveau du jeu de pédalier et de la poulie, torsion due aux efforts du tube de direction, recherche d'une certaine flexibilité verticale au niveau du siège.
Lorsqu'on utilise des métaux, on est confronté à un matériau
isotrope (en gros: toutes les "fibres" dans le même sens). Une poutre qui fait un boulot de poutre, bref. Il est possible de faire varier les sections et épaisseurs (achat de tubes ronds normalisés de différentes tailles et épaisseurs, extrusion sur mesure chez Challenge et Bacchetta notamment), mais on est pris avec les mêmes caractéristiques d'un bout à l'autre de la poutre.
Petite anecdote : l'offre de tubes normalisés à fortes sections, faible épaisseur et alliages pertinents est déjà limitée chez l'alu et l'acier, elle l'est encore plus chez le titane.
Bacchetta a été fondé à l'occasion de la découverte de la liquidation d'un stock de tubes de titane à forte section (60mm?). Un fabricant de VTT avait fait un investissement risqué dans la production d'un tel tube afin d'en faire des tubes obliques, puis avait fait faillite.
Ces tubes sont donc devenus des Ti-Aero. Une fois le marché un peu mieux établi et avant que ne se vident les réserves de tubes en titane, la boîte a investi pour se diversifier dans les cadres acier, carbone+titane (Carbon Aero 1), puis alu et tout carbone.
Aujourd'hui, la production de VH titane est limitée, si je ne m'abuse, à des tubes de 50mm.
C'est dire à quel point la production de VH métalliques dépend de l'offre de tubes accessible sans investissement initial trop élevé.
Il reste l'hydroformage, qui permet des sections et épaisseurs évolutives (jusqu'à un certain point). Les moules coûtent très cher et sont donc difficiles à amortir sur les volumes de production actuels de VH. Autre contrainte : la longueur d'une telle pièce est limitée à 80cm, voire 100cm avec un peu de chance (et ce n'est pas faute d'avoir personnellement demandé à chaque sous-traitant maîtrisant cette technique au salon de Taipei). Même enjeu chez les tubes rétreints (butted) à section constante. Trop court pour un cadre de VH, sauf en cas d'assemblage, mais cela multiplie le nombres de moules et donc l'investissement. Certes, il existe des industries capables d'hydroformer ou rétreindre plus long, mais le temps de les trouver et de raffiner leur application à un vélo... Risques encore plus conséquents.
Rares exceptions : les bases et haubans ICE, mélanges de pièces hydroformées existantes (le moule existe déjà, on les sélectionne dans un catalogue, le sous-traitant amortit son moule dans un coût par pièce plus élevé plutôt que d'exiger un investissement initial) et de nouveaux moules. Certains cadres Cruzbike également, la formule TD passant tout juste dans les contraintes de longueur, et le débat sur la témérité de cet investissement serait le sujet d'un autre fil...
Les matériaux composites (nous nous concentrerons sur la fibre de carbone) sont
anisotropes (l'orientation des fibres est déterminée par le concepteur).
Cela signifie que sous la surface de ce qui semble être une simple poutre, tout un jeu d'orientation de fibres et d'épaisseurs est possible. On peut donc imaginer plusieurs petits segments, chacun jouant son rôle distinct un peu à la façon d'un cadre VD, tout ça sous la surface. Il devient donc un peu plus envisageable de maîtriser les contraintes contradictoires citées plus haut.
C'est pourquoi dans un autre fil, un propriétaire de Schlitter Encore citait des propriétés que je traduirais par: peu de flambage et de torsion dus à la transmission, mais un confort permis par une certain débattement vertical. Ou encore que plusieurs propriétaires de cadres carbone expliquent que le cadre "prend mais redonne" le pédalage.
En passant je tente d'éviter les termes "rigidité" ou "souplesse", bien trop ambigus!
Enfin, la mise en forme des matériaux composites est - relativement - abordable. Il est possible de créer des moules perdus assez facilement, des moules réutilisables qui ne coûtent pas trop cher, ou des moules en métal capables de produire en série et de résister aux hautes pressions, chers mais pas trop (moins de travail de finition, certaines propriétés plus faciles à maîtriser). D'où sa pertinence aux volumes de production actuels des VH.
Toutefois, il existe une énorme différence entre l'"objet en forme de cadre de VH carbone" que l'on peut réaliser soi-même et ce que des ingénieurs et artisans expérimentés sont capables de concevoir et réaliser.
C'est pourquoi Malric arrivait à faire des miracles avec un cadre en poutre très cintré, forme qui, chez les matériaux isotropes, est loin d'être la plus apte à bien répondre aux contraintes contradictoires citées plus haut.
C'est donc pourquoi dans un autre fil j’annonçais, quitte à faire la promotion d'un produit concurrent, que:
La différence entre l'alu et le carbone, particulièrement sur un cadre de VH, dépasse largement toute considération de poids.