- Bamako, le 10 août 2007 -
Fréquentant assidûment les forums de dialogues relatifs à la pratique du vélo horizontal, j’ai pu noter les interrogations de nombreux pratiquants quant au matériel qui serait le plus adapté aux randonnées au long cours. De retour d’un périple de 3.000 km sur les routes de France, je souhaite apporter une très modeste pierre à cet édifice sans fin.
Fin mai 2007, un brin lassé des contraintes de la vie parisienne, fuyant ainsi les arrogants et les grincheux de tout poil, je pliais les gaules et débutais un tour de France (partiel) à vélo, en totale autonomie. Et pas de blague, hein, tout à l’eau claire ce qui frise la provocation en ces périodes de transfusion homologue et d’hormones de croissance comme s’il en pleuvait.
Mon matériel est le suivant : un V.K.2, superbe serpent de carbone que je couve de soins attentifs, équipé d’une pointe-coffre en carbone de contenance 30 l et attelée à une remorque mono-roue sur laquelle a été fixée une cage de transport pour chien. Je rappelle que je partais pour un périple d’un mois et demi en totale autonomie, passant l’essentiel de mes nuits à la belle étoile. Ce qui signifie que le seul matériel de bivouac est déjà volumineux et pesant : hamac, cordages et œillets de fixation, bâche, duvet… Le poids, voilà l’ennemi ! Alors il convient de procéder à des choix. Voyager libre, c’est l’art des choix ! comme on rigole à Privas. Alors je sélectionne délibérément, férocement, impitoyablement. Un coup d’œil au site de randonnée légère me permet d’affiner encore. Il est bien évident que je privilégie la qualité de conduite, au détriment du confort le soir à l’étape.
Première section : le trajet Paris / Lyon que je couvre en quatre jours, ce qui est tout à fait honorable pour un gazier de 45 balais aux pâquerettes et qui affiche 83 kilogrammes au garrot, et sans aucun passé cycliste. Je traîne un peu en Dauphiné, prends la rincée du siècle à Romans, file comme le vent sur Avignon (j’ai trouvé la portion Crest / St Saturnin-les-Avignon au poil, roulante et sûre, tirant même la bourre avec un convoi exceptionnel acheminant vers le littoral un yacht monstrueux) où je récupère le facétieux Lucien, mon chiot berger. La socquette légère, je trace sur la côte méditerranéenne plein Ouest, passe Béziers et longe le canal du midi. Et c’est là que survient un incident mécanique qui va m’immobiliser plusieurs jours : dans des circonstances non élucidées (vraisemblablement une manœuvre brutale de ma part, je bats volontiers ma coulpe) la patte de dérailleur arrière est brisée. L’unique réparateur de Castelnaudary, en dépit de sa bonne volonté, ne dispose pas d’un modèle adaptable à l’architecture du VK 2. Je ne dois mon salut qu’à la rapidité de réaction de Philippe « Pulsar » qui m’expédie dans la foulée la pièce en question. Philippe, si tu nous entends, encore merci.
Je repars donc en direction de Bordeaux, puis j’attaque la remontée de la façade atlantique et c’est une belle et âpre partie de manivelles, giflé par les rafales d’un vent fripon et tournant. Ce sera enfin cap à l’Ouest toute pour tracer de Nantes jusqu’à Brest. Je passe sur les conditions météorologiques exécrables car ce printemps est du genre pourrav’ sur l’Ouest, et c’est un doux euphémisme que de l’écrire. Huit heures au quotidien de progression forcément lente et éprouvante sous la pluie cinglante, l’orage, l’ondée, la flotte, la drache sans discontinuer, ça vous forge un mental ! « Parlez-moi de la pluie et non pas du beau temps » chantait Brassens… Je tiens la preuve que le moustachu était fou à lier ou qu’il n’avait jamais pratiqué le vélo ! Je passe sous silence les tendinites qui donnent le sentiment qu’une aiguille vous transperce les rotules, j’oublie les camionneurs agressifs et j’absous même le salopard qui a rempli la boutanche que je lui tendais à l’eau de vaisselle (authentique)… mais qu’il n’y revienne pas, qu’autrement sinon je lui arrache les yeux à la fourchette à escargots ! Au final, il reste un parcours inoubliable sur une machine en définitive tout à fait adaptée à ces randonnées au long cours. Nombreux sur ce forum sont ceux qui vantent leur spad, clamant sur tous les tons qu’en dehors d’un pesant cadre acier il n’est point de salut. Foutaises et billevesées ! Je puis écrire que la robustesse du VK 2 (85 kilogramme sur le râble plus une carriole à tracter, tout de même) ne fut pas prise en défaut et que je pus apprécier son confort, m’astreignant quotidiennement à un minimum de huit heures de selle - les forçats de la route, on est en plein dedans. Et accessoirement, je ne me lasse pas de contempler le dessin élégant du lowracer de chez Velokraft et sa finition sans reproches - parce que le carbone, tu t’y es essayé mon drôlet, avec tes deux mains gauches ? Le résultat est à frémir, n’est-ce-t-il pas ? La fibre, c’est un métier et voilà tout.
Si c’était à refaire :
-Alléger, alléger, chaque gramme en trop pompe de l’énergie et fatigue le matos.
-M’équiper de cartes détaillées, cela m’aurait éviter de m’égarer sur une voie express (putain de quatre voies !) et d’être verbalisé par la maréchaussée peu compréhensive.
-Embarquer dans mes sacoches une patte de dérailleur, notre matériel parfois très spécifique étant peu compatible avec les pièces standards. Et accessoirement un pneumatique avant de 20 pouces 1 – 1/8, le mien commençant à donner des signes de fatigue sur la fin, et les vélocistes systématiquement dépourvus de cette référence.
Un regret : d’ordre météorologique because la Bretagne en juin 2007, j’ai dégusté sévère. Mais surtout le fait de n’avoir quasiment pas rencontré d’autres cyclo-touristes, histoire de faire un bout du chemin ensemble et d’échanger à l’étape. Et pas mèche de trouver un point d’eau susceptible de déshydrater le cyclo qui tire la langue, à croire que les fontaines mousseuses ont disparu de nos villages. Une solution : les cimetières, mais les veuves éplorées jettent un regard courroucé à l’extra-terrestre en collant de lycra, mitaines, bandana coloré et chaussures provoquant une démarche pour le moins insolite – quand elle n’en attentent pas à ma vertu, mais je ne suis pas un garçon facile ! Quoique la voilette, ça incite…
Bon vent à tous et si vous poussez jusqu’à Bamako où j’ai jeté l’ancre (si tant est qu’il y ait une surface maritime au Mali, ce qui reste à prouver), poussez jusqu’au bobinard que je viens d’y ouvrir, il y aura toujours un bol de soupe et une poignée de cahuètes pour le randonneur poussiéreux. Vous ne pouvez pas vous tromper : j’ai pris mon spad pour enseigne !